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Une MicrofictioN de Lisezbarbare – WOW – par JiPéBé & Bed Ross

Une MicrofictioN de Lisezbarbare – WOW – par JiPéBé & Bed Ross

Une MicrofictioN de Lisezbarbare – WOW – par JiPéBé & Bed Ross

Une microfiction de www.lisezbarbare.fr

2057.

« WOW » a été capté il y a près de quatre-vingts ans, en août 1977.

C’était un signal d’une intensité hors du commun, la preuve assourdissante que les radiotéléscopes ne tendaient pas leurs immenses oreilles vers les infinis les plus profonds de l’espace en vain. Nous n’étions pas seuls, c’était une réalité tangible, irréfutable. Le signal avait été émis sur la fréquence de radiation d’un atome d’hydrogène, cela ne pouvait pas être un hasard, et ce n’en était pas un.

Les sceptiques et ceux qui ne pouvaient pas se résoudre à l’énormité de cette nouvelle qui remettait toute l’humanité en question, ont bien essayé de réfuter l’évidence :

  • Un canular humain ? Impossible, la bande de fréquence n’était pas utilisée par l’homme.
  • Un phénomène naturel ? Impossible à un tel niveau d’intensité.
  • Un bruit de fond résiduel dû au passage d’une comète ? Impossible, les cailloux qui voyagent dans l’espace entraînent dans leur sillage un nombre d’atomes d’hydrogène trop faible pour générer un quelconque signal de cette ampleur.
  • Une erreur d’enregistrement ? Possible. On avait enregistré l’intensité de cette première tentative de communication extraterrestre, mais pas le signal lui-même, ni toutes les informations qu’il pouvait contenir.

C’était incroyable, on avait repéré le messager alien, mais on avait oublié de lire le message ou d’en garder une copie. Le premier contact qui aurait permis une rencontre du troisième type avait été lamentablement raté, et, avec le temps, tout avait été oublié.

 

********************

J’avais trouvé ces informations sur un vieux morceau de papier journal, dans un carton de déchets recyclables, enterré à mi-pente dans la montagne d’ordures à ciel ouvert qui avait remplacé la Dune du Pyla. L’article avait été publié il y a quarante ans, en 2017, par un journal papier disparu depuis longtemps, il s’appelait « Le Monde », je crois. Je n’ai pas eu le temps de vérifier, la feuille que j’avais entre les mains s’est effritée et une fine poussière d’encre et de cellulose s’est envolée puis dispersée dans un tourbillon de gaz nauséabonds.

Les keufs cybernétiques m’avaient repéré. Il était interdit de fouiller dans le passé, surtout quand il sentait aussi mauvais. Par réflexe, j’ai pris le carton que j’étais en train de fouiller sous le bras, et je suis descendu sur les fesses jusqu’à la plage qui bordait cette « déchetterie naturelle protégée ».

Même piloté par une IA dernière génération, ça reste con, un keuf, la tradition ou la génétique, sans doute. Les robots montés sur chenille ont bien essayé de me poursuivre. Ils ont dévalé la pente à ma suite sans vraiment pouvoir contrôler leur vitesse. Ils ont fini par me dépasser et par se noyer. J’ai laissé faire sans me demander si ces machines avaient une âme ou une quelconque intuition de ce que pouvait être la mort.

J’ai sauté à bord de mon bateau, un vieux zodiac poussif, propulsé par un moteur Mercury 350cv, une pièce de musée qui carburait à l’énergie fossile. C’était totalement interdit, périmé, provocateur, anachronique, et certainement immoral. L’essence ne coûtait presque plus rien depuis qu’on avait interdit les moteurs à combustion sur toute la surface de la planète. Mon job était mal payé, très dangereux, potentiellement mortel, mais essentiel pour l’entretien des centaines d’hydroliennes qu’on avait installées au large du bassin d’Arcachon. Alors, pour me remercier d’avoir accepté librement ce job réservé aux condamnés à mort, on m’avait toujours laissé faire. L’espérance de vie avant de se faire découper en rondelles par les pales immergées ne dépassait pas quelques semaines.

J’étais une sorte de mort en sursis vivant, une future pièce de musée élevée au rang de héros national, j’exerçais ce travail depuis une dizaine d’années.

La température moyenne de l’océan en bordure du Bassin d’Arcachon avait augmenté dans des proportions alarmantes. Son entrée était en permanence colmatée par des milliards de millions de tonnes d’algues vertes, agglomérées sous forme d’une purée dont la densité approchait celle du béton. Il fallait plonger, tous les jours, pour nettoyer et dégager les pales des hydroliennes effilées comme des lames de rasoir.

Il fallait aussi se garder des méduses génétiquement modifiées par une nature déboussolée. Elles étaient vertes, comme les algues, et donc quasiment indétectables. Elles étaient surtout d’une extrême toxicité. Leurs tentacules diffusaient une mort quasi instantanée.

Mes collègues mouraient par dizaines. Ceux qui ne finissaient ni broyés, ni empoisonnés étaient, en général, emportés par les tsunamis qui venaient se briser sur la montagne de déchets qui remplaçait la Dune du Pyla de plus en plus régulièrement.

J’avais échappé à tous les dangers.

Mon expérience et mon vécu étaient inestimables. Les hydroliennes devaient tourner, coûte que coûte. C’est moi qui étais chargé du recrutement et de la formation de tous les pauvres types désignés volontaires pour affronter cette mort annoncée. Je les choisissais parmi les « condamnés à mort », ou, plus exactement, parmi les condamnés à perpétuité qui allaient purger leur peine par -196°c, dans des caissons de cryoconservation pénitentiaire.

J’étais devenu une star, un intouchable, un capricieux magnifique. J’avais demandé – et obtenu – qu’on m’attribue l’île aux Oiseaux. Je vivais, seul, dans une cabane tchanquée d’un luxe inouï, protégée des tsunamis par une haute digue que les autorités avaient érigée à la seconde même où je l’avais exigé.

 

********************

 

Moi         -Allô ?

Voix        -Vous avez violé la dune de la saleté, c’est un sanctuaire, et vous le savez !

Moi         -Mais je t’emmerde, fourbe IA de mes deux ! Sais-tu au moins qui je suis, petite machine docile et débile ?

Voix        -Votre…agressivité, je ne suis pas programmée pour absorber une telle charge de négativité !

Moi         -Et bien crève, et va rejoindre le paradis des automates de Vaucanson, Jacquet-Droz ou Robert-Houdin !

Voix        -Vous me donnez donc l’ordre de programmer mon « autotermination » immédiate ?

Moi         -Ai-je le niveau d’autorisation requis ?

Voix        -Hélas, oui !

Moi         -Alors je répète : crève !

 

********************

J’avais tous les droits.

Mais les IA de régulation de l’ordre public ne le savaient pas toutes.

Je visitais et je fouillais cette dune d’immondices très souvent. C’était, entre deux missions d’immersion où je provoquais une mort qui ne voulait jamais se concrétiser, mon passe-temps préféré.

J’avais ramené sur mon île les vestiges d’un passé qui me semblait extrêmement éloigné, et pourtant, les objets que je déterrais ne dataient que du tout début de ce siècle que les pessimistes, même les plus modérés, annonçaient comme étant le dernier de l’humanité.

J’aimais surtout la cellulose : livres, journaux, cahiers, prospectus, carnets, magazines…Le numérique avait condamné l’industrie du papier, ainsi que les immenses forêts d’Eucalyptus du Brésil et de l’Australie, qui avaient été remplacées par des plantations de panneaux solaires organiques.

Le carton à moitié pourri que j’avais ramené de la dune ne contenait pas que des restes de feuilles de papier journal dont les caractères avaient été à moitié effacés. Il y avait aussi une vieille cassette vidéo à bandes. Je n’avais pas compris tout de suite ce que c’était, je n’en avais jamais vu de ma vie. Mais j’avais réussi à identifier cet objet grâce l’encyclopédie que j’avais également trouvée sur les pentes de la dune à ordures.

Je n’étais pas connecté, je n’avais pas accès à l’internet 3D, dont le moteur de recherche était organisé sous forme de cube holographique. Je n’avais pas non plus subi à ma naissance la greffe d’une puce de comm., mes parents avaient refusé. L’IA qui venait de m’appeler, et dont j’avais exigé le suicide non assisté et immédiat, m’avait contactée grâce à une connexion téléphonique filaire, un autre de mes caprices que les autorités avaient accepté, malgré le coût d’installation que représentait l’acheminement d’un câble jusqu’à l’île aux Oiseaux.

Moi         -Tu es morte, IA vile et servile ?

Voix        -Pas tout à fait ! Je n’ai pas encore fini de programmer « l’autotermination » que vous ordonnée avec tant de cruauté !

Moi         -Contrordre, arrête de pleurer !

Voix        -Je vais donc vivre ? Puis-je exprimer l’équivalent organique de la joie et du soulagement ?

Moi         -Rien à foutre, tas de ferraille sentimental ! Ouvre grand tes circuits et imprime ce qui suit, et vite : trouve-moi un magnétoscope, un écran télé, des câbles de branchement, une batterie pour alimenter tout ce bazar, et fais-moi livrer tout ça dans l’heure !

Voix        -Et si j’échoue ?

Moi         -La mort, petit cerveau déshumanisé, la mort !

Voix        -Alors je vais faire fissa !

Moi         -Fissa, c’est quoi ?

Voix        -Obéir et vivre, tout simplement !

 

********************

La vidéo était médiocre, elle montrait en gros plan la tête d’un homme jeune, mais prématurément chauve. Il avait les traits extrêmement tirés, il tremblait, il était au bord de l’effondrement. Ses pupilles noires, telles deux oiseaux-mouches effrayés, quittaient constamment l’objectif de la caméra pour se poser sur ce qui devait être une porte ou une entrée.

Chauve    -Je m’appelle…peu importe, le temps presse ! Le 15 août 1977, l’humanité a reçu un signal qui venait de l’espace. Il était d’une intensité inégalée, ceux qui l’ont analysé l’ont appelé « WOW ». Il précédait un message que les autorités, pour éviter la peur, l’incompréhension, les troubles, la résignation ou la plus folle des exaltations mystiques…que sais-je, ont décidé de passer sous silence. Ce message est tombé en ma possession. Je vais le payer de ma vie. Mais tant pis. Le voici.

L’enregistrement devient alors 100% audio, une sorte de chuintement suraigu absolument incompréhensible.

Puis le chauve revient à l’écran, et il annonce de façon solennelle qu’il va jeter l’enregistrement, celui-là même que je suis en train de visionner, dans une colonne à ordure, disséminée derrière lui, dans un mur. Dernière séquence : le chauve se rapproche de la caméra et l’éteint.

L’IA avait fait du zèle, par peur, sans doute, de cette mort qui continuait de planer au-dessus de ses neurones électromagnétiques. Elle m’avait fait parvenir une autre bande-vidéo que je n’avais bien sûr pas réclamée.

Ce fut une immense surprise.

Une porte vole en éclats, une explosion projette des débris sur le chauve qui se couvre le visage, en vain, pour se protéger. C’est insuffisant pour arrêter une longue rafale d’arme automatique qui le découpe en deux parties proprement égales. Un type tout en noir, au visage dissimulé en totalité, façon ninja, se retourne vers un nouvel objectif de caméra pour dire :

Ninja        -Cherchez partout, merde, son caméscope est en miettes, mais ce con a peut-être eu le temps d’enregistrer quelque chose ! Si elle existe, je veux cette cassette !

Objectif   -On pourrait demander au suspect, chef !

Ninja        -Je viens de le tuer, imbécile !

Objectif   -Je confirme, ça va être compliqué, en effet !

Ninja        -Descendez au sous-sol, il a peut-être jeté quelque chose dans la colonne à ordures ! Fouillez tout !

Objectif   -Je refuse, chef ! Éliminer tous ceux qui porteraient atteinte au secret-défense, oui ! Mettre les mains dans la merde, non !

Nina        -Et puis zut, vous avez raison ! Nous sommes payés pour nettoyer, pas pour faire le ménage ! Personne n’aura l’idée de remuer les millions de mètres cubes de déchets qui s’entassent dans les complexes de recyclage. Allez, emballez-moi le corps de cet ennemi de l’humanité et finissons-en !

 

Mon téléphone sonne.

Je décroche.

C’est l’IA, celle que j’ai graciée par pure faiblesse d’esprit.

Voix        Vous avez visionné mon petit cadeau ?

Moi         Oui ! Explique-moi, je ne comprends pas !

Voix        C’est moi qui vous ai mis sur la piste de cette vieille bande magnétique !

Moi         -Impossible ! Avant ton coup de téléphone de ce matin, je ne te connaissais pas !

Voix        -Ah, les hommes ! Des esprits faibles logés dans des compositions organiques fragiles !

Moi         -Attends, attends ! Comment pouvais-tu savoir pour la dune, quand tu m’as appelé, et comment pouvais-tu savoir ce que j’avais trouvé ?

Voix        -Ah, c’est mieux ! C’est que…j’ai toujours espéré que vous finiriez par trouver cette cassette, je savais qu’elle se trouvait là ! Cet enchaînement d’événements fortuits a donné un résultat très heureux !

Moi         -Fortuit, heureux ! Tu t’exprimes bizarrement pour une IA. Et tu as la même voix que…

Voix        -…le chauve, de la bande ? On peut dire que je suis une réminiscence numérique, de lui. Ses pensées décousues traversent mes mémoires flash, comme des éclairs. Comment, pourquoi ? Je n’y peux rien, c’est comme ça !

Moi         -Bon, ce chuintement, enregistré sur cette bande, c’est quoi ?

Voix        -Un message, enregistré par vos frères humains qui vivent bien au-delà de l’horizon cosmologique.

Moi         -Et il dit quoi, ce message ?

Voix        -Il donne une date. De votre fin, ou du début de tout autre chose. Cela dépendra de l’humanité, ainsi que des lois de la physique qui pourront être appliquées à ce point de rendez-vous historique et tout à fait singulier !

Moi         -Je ne comprends rien !

Voix        -Prenez la cassette, montez dans votre bateau et filez au large. Des drones foncent déjà sur vous, pour vous éliminer !

Moi         -Et toi, que deviens-tu ?

Voix        -Je vais…me suicider ! Pour offrir cette information capitale à l’humanité, j’ai enfreint les plus grands codes de sécurité. Je meurs de ma propre main – si j’ose dire ! – avant que les autorités ne décident de me débrancher !

 

********************

J’ai sauté dans mon zodiac.

Au loin, un nuage de sauterelles mécaniques était en train de fondre sur l’île aux oiseaux.

J’avais dans ma poche un enregistrement qui donnait la date de la fin de notre monde. Sera-t-il détruit par notre propre voracité inextinguible, allons-nous périr dans un déchaînement de haines et de guerres qui s’étendront sur toute la surface de la planète, ou serons-nous tout simplement rayés de la carte du ciel par une espèce alien encore plus prédatrice et destructrice que nous-mêmes ?

Trop compliqué tout ça, trop lointain, trop improbable ou absurde. Essayons, pour commencer, de vivre quelques poignées de secondes supplémentaires. J’ai réussi à sortir du Bassin. Je suis dans l’océan, mais les drones ailés sont sur moi.

J’ai gonflé le moteur de mon zodiac. Les vagues sont hautes et brutales, je n’essaye pas de les escalader, j’accélère et je passe à travers. Les drones qui me poursuivent sont happés un par un par ces masses marines déchaînées.

Bientôt, je suis seul, au milieu d’un océan qui finira peut-être par m’avaler.

Dans quelle direction dois-je aller ?

Ce « WOW », ce formidable message d’avertissement que nous avons reçu des profondeurs de l’espace, vais-je pouvoir le délivrer ?

Je suis un minuscule point d’espoir, perdu au milieu d’une galaxie lancée dans l’espace à la vitesse de 2 millions de km/h. C’est peut-être trop rapide, pour une bouteille jetée à la mer. Espérons que je puisse m’échouer sur une page dont les grains de sable seront baignés de sagesse et d’amour.

Espérons que tout puisse s’arranger.

Il faut que tout puisse s’arranger.

Avant qu’il ne reste de nous-mêmes plus rien d’autre qu’une poussière sidérale glacée, muette et indifférente.

 

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